Avec plus de 400 km2, Majuli est la deuxième plus grande île fluviale au monde, pour la plus grande fierté de ses habitants. Située sur le Brahmapoutre, le fleuve de l’Assam, elle est vouée à disparaître d’ici moins de 10 ans.
Autrefois, l’île de Majuli comptait cinquante-cinq monastères dédiés au culte de Vishnu, mais déjà près des deux tiers des terres ont été engloutis avec les moussons successives. Il subsiste quelques-uns de ces satras, chacun étant dédié à une pratique artistique.
L’île de Majuli constitue une pause détente dans un périple à travers les Etats tribaux du nord-est de l’Inde. Elle présente un volet culturel intéressant : les satras, les villages mishing, les maisons sur pilotis…
Je vous conseille de séjourner dans une maison d’hôte, comme le Ygdrasill Bamboo Cottage, dans l’un des deux principaux villages de l’île, Kamalabari ou Garamur. La Maison de Ananda est aussi un bed and breakfast très agréable, créé par un ancien guide. De nombreux habitants de Majuli parlent l’anglais couramment.
L’île de Majuli, joyau englouti au cœur de l’Assam
L’Assam a été rattaché à l’Inde en 1947, après l’Indépendance du sous-continent. Il a ensuite été fragmenté en différents états. Ce bout de territoire, enclavé entre Chine, Bhoutan et Birmanie et relié à la péninsule indienne par un étroit corridor au sud du Sikkim. L’Assam s’étend d’un bout à l’autre de l’oreille de l’Inde. Il a des frontières communes avec les six autres sœurs du Nord-Est de l’Inde : Meghalaya, Arunachal Pradesh, Nagaland, Manipur, Tripura et Mizoram. Ses rizières à perte de vue et ses plantations de thé sont héritées du temps de l’Empire britannique des Indes. Le chef-lieu est Guwahati.
L’île de Majuli, fragile bande de terre, est plantée au beau milieu du fleuve Brahmapoutre. Elle est habitée depuis le XVe siècle. Des Mishing de l’Arunachal Pradesh, adorateurs de la lune et le soleil, ont été les premiers habitants, rejoints par des Assamais, vénérant Shiva et Parvati.
On y accède en avion jusqu’à Guwahati ; puis en bus ou en jeep jusqu’à Kaziranga (5 heures de Guwahati) puis vers Jorhat (3 heures depuis Kaziranga) ; et enfin en rickshaw jusqu’à l’embarcadère des ferries de Nimatighat. Compter une heure de bateau pour remonter le fleuve Brahmapoutre et atteindre le port de Majuli. De là, un ultime trajet en bus vous attend pour rejoindre un village. Les vélos sont adaptés aux déplacements locaux.
Majuli et ses nombreux satras
Si l’Assam comprend 665 monastères hindous, soit beaucoup plus que le reste de l’Inde, Majuli est le berceau des satras, dédiés au culte de Vishnou et de son principal avatar, Krishna. Pourquoi autant de monastères sur Majuli ? L’ordre a été fondé par un poète, musicien et dramaturge, Sankaradeva. Ce gourou estimait que c’était l’endroit idéal pour en établir.
Autrefois, l’île comptait cinquante-cinq satras… En 1950, un séisme a relevé le niveau des eaux. La fonte des glaciers de l’Himalaya n’a pas amélioré les choses… Depuis la superficie des terres diminue avec les crues. Le monastère Auniati est le plus grand des vingt-deux monastères actuels de l’île.
Auniati se situe à 8 km à droite depuis le village de Kamalabari, en venant de Garamur. Il date de 1653. Il y règne une grande quiétude et une certaine grâce émane des visages sereins des bhakats, ses moines paysans et artistes. Quatre cents religieux, de 5 à 85 ans, résident dans ce monastère. Certains arrivent à l’âge de 7 ans. Les parents choisissent de placer un ou plusieurs de leurs garçons dans cette voie. Ils grandissent au monastère, pris en charge par les anciens, et étudient à l’école. Devenus adultes, ils vont travailler pour le gouvernement.
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Le quotidien des bhakats rythmé par l’art
Tous les jours, les moines se lèvent à 4 h du matin pour ranger, se laver, faire la prière et prendre le petit déjeuner. Après le travail, ils vaquent à leurs occupations et pratiquent leur art. Il leur arrive de sortir de l’île pour rencontrer la population et discuter de la religion. Ils ont tous fait vœu de célibat. Si d’aventure, ils décident de quitter le monastère pour fonder une famille, ils peuvent en faire la demande auprès de leur gourou.
Autour de l’immense hall de prière, appelé namghar, il y trois rangées d’habitations. Les moines ont tous leur propre petite chambre. Celles-ci sont réparties en différents box, avec une cuisine et des toilettes partagées. Trois gourous habitent au monastère. Ils viennent de l’extérieur. Lorsque le gourou principal trépasse, les rôles évoluent et un nouveau gourou s’installe à sa place. A 1 km au nord de Kamalabari puis 600 m à l’est, un autre monastère, Uttar Kamalabari, présente une organisation similaire à Auniati autour du namghar mais a les masques pour spécialité.
Car chaque monastère de Majuli excelle dans un domaine artistique précis : la fabrication d’éventails, de bateaux pour la mousson… Chaque moine a également sa propre discipline, la musique, le chant, le théâtre, la danse… Pour ce jeune garçon, la contorsion… Les novices mettent plusieurs années pour maîtriser les arts enseignés au satra. Ces derniers ont été reconnus en 2001 par le gouvernement indien comme « dépositaires de l’un des grands arts du spectacle traditionnel indien ».
Le gamosa, le foulard des Assamais
Les Assamais portent le gamosa, ce foulard typique rouge et blanc. A l’entrée du monastère, à côté de la très jolie maison du gourou, l’immense hall de prière abrite une immense statue de Garuda, la monture de Vishnu pour les Hindous, portant ce gamosa. Les habitants de Majuli vouent un culte particulier à ce dieu.
Les astucieuses maisons sur pilotis de Majuli
A première vue, Majuli ressemble au reste de l’Inde et a fortiori au reste de l’Assam. On y retrouve le culte hindou, les magasins en dur, les saris colorés et les regards curieux des habitants. Pour mieux comprendre la culture mishing, la tribu locale, le mieux est de consulter le site www.majulitourism.com ou de contacter Jyoti Naryan Sarma. Il s’est beaucoup engagé dans la préservation de l’île, guide les habitants et loue des vélos.
Les maisons mishing de Majuli, dressées sur pilotis, sont réalisées en nattes de bambous tressées, avec des toits de palme. Une tranchée entoure certaines maisons de sorte que, lorsque l’eau descend après la mousson, les poissons sont retenus sous les pilotis. Sous la structure, les habitants rangent leur barque pour se déplacer de maison en maison lorsque l’île est partiellement inondée. En regardant bien, on aperçoit parfois un tracteur, un métier à tisser ou même…un salon de jardin !
La grande spécialité de Majuli est la bière de riz. Fabriquée par toutes les familles à partir de riz cuit et d’eau, elle est partagée dans les pubs locaux. Acide si elle n’a fermenté que quatre jours, elle peut être délicieuse après une semaine de repos. Même les bébés et les femmes peuvent y goûter. Certains la vendent, d’autres n’en préparent que pour leur consommation personnelle. Les Mishing boivent la bière de riz le matin et le soir pour assurer leur dur labeur, « et pas seulement un verre », comme ils disent.
Préservation de la culture mishing de Majuli
En journée, se promener en vélo dans le village permet de voir le quotidien des habitants. En coupant à travers les champs et les rizières, on regagne la route principale. Le petit chemin qui longe la rivière amène à un point de vue où la rivière se scinde en deux. Un petit bac permet de traverser. Sur le chemin, on croise des pêcheurs et de nombreuses petites bêtes comme des grenouilles naines.
Les habitants de Majuli sont très accueillants, parfois même un peu envahissants, et ne cessent de vous remercier pour votre visite. Ils ont toujours une bonne raison de faire la fête. Lors de notre passage se déroulait un important tournoi de foot pour tout l’Assam et le cinquantième anniversaire de leur collège avec de la danse moderne et du théâtre.
Avant de quitter l’île, nous avons été invités à un mariage traditionnel. La saison des mariages s’étend de mai à juin, quand la nature est verte. Une bâche est tendue devant la maison sous laquelle on installe une salle de réception et un restaurant. Dès 17 h, on peut prendre un snack. S’ensuit une interminable attente de la mariée, jusqu’à plus de minuit. Pendant ce temps-là, on apprend à danser le bhiu, la danse folklorique de l’Etat. Un deuxième repas, copieux quoique similaire aux repas indiens quotidiens, est servi et le marié est alors enduit de turmeric. Que la fête commence !
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